Revue de Presse

Les mammouths survivants d´Arcy sous l´œil de spécialistes

L'Yonne Republicaine, édition du jeudi 30 mai 2002.

Arcy-sur-Cure. - Les chercheurs qui fouillent la Grande grotte ont fait découvrir samedi à leurs collègues quelques-unes des 140 peintures dégagées de leur gangue de calcite. Suivez le guide.

Après avoir écouté pendant deux jours les spécialistes de la conservation des peintures et sculptures pariétales, les congressistes des 10 èmes journées d´études de l´Institut international de conservation se sont offert samedi des travaux pratiques. Trois chercheurs qui travaillent, pour certains depuis plus de 10 ans, dans la Grande grotte d´Arcy-sur-Cure leur ont servi de guides jusqu´au bout de la Grande grotte. Là où il y a environ 28 000 ans, des peintres avaient transformé ce lieu en sanctuaire, sans doute dédié au mammouth.

Personne, pas même l´un des pontes de l´archéologie, André Leroi-Gourhan, ne pensait trouver de peintures rupestres dans la Grande grotte d´Arcy, parcourue des millions de fois depuis des siècles. Jusqu´à ce qu´en 1990 on y découvre un bouquetin sous une couche de calcite déposée par le ruissellement au fil des millénaires.

« La grotte la plus mutilée de France »

La calcite... c´est bien la chance d´Arcy. Car sans cette protection naturelle, il ne resterait plus rien ! Tout aurait disparu il y a quelques décennies sous le jet d´un nettoyeur à haute pression appliqué par l´ancien administrateur.

L´initiative a débarrassé la plupart des parois du noir de fumée laissés par les torches d´éclairage. Elle a aussi entraîné dans les eaux des pans entiers de préhistoire : « Seul 20 % du plafond a conservé sa calcite qui a protégé les peintures. La première particularité d´Arcy, c´est que c´est la grotte la plus mutilée de France », s´indigne la préhistorienne Dominique Baffier, du CNRS, conservatrice de la grotte Chauvet dans l´Ardèche. Depuis plus de 10 ans, elle est venue régulièrement travailler à Arcy, comme les deux autres guides de cette journée, Michel Girard, et Eudald Guillamet. Et lorsqu´on sait que 140 représentations d´animaux et de signes ont été recensés sur ces 20 % de parois ayant survécu au massacre, on mesure quels peuvent être leurs regrets...

« 60 % d´animaux dangereux »

« Les autres particularités de la Grande grotte », poursuit Dominique Baffier, « c´est que plus de 50 % des animaux représentés sont des mammouths et que plus de 60 % sont des animaux dangereux. On retrouve des espèces extrêmement rares dans l´art pariétal, qu´on ne retrouve ailleurs sauf à Chauvet : des rhinocéros, des félins, des ours. On ne sait si les hommes représentaient ces animaux pour annihiler ou pour prendre leurs forces ? ». Ce que l´on sait en revanche c´est qu´après cette période, ils représentaient des animaux plus pacifiques comme les bisons ou les chevaux.

Samedi, le restaurateur andorran Eudald Guillamet a expliqué comment, après avoir essayé, sans succès, de ramollir les couches de calcite épaisses de trois ou quatre millimètres par des procédés chimiques, il a innové en passant à une autre technique. C´est grâce à une roulette abrasive provenant d´une grande surface de bricolage qu´il a réussi à amincir la première couche de calcite opaque, pour ne laisser qu´une petite pellicule protectrice et miraculeusement transparente. Un travail de grande précision sur des parois parfois décollées de la roche et donc fragilisées. En cinq ans, une dizaine d´animaux (sept mammouths, un mégacéros, un ours et un poisson) ont ainsi refait surface sur le plafond de la salle des vagues, permettant de confirmer ce qui avait parfois été rendu visible par les infra-rouges.

Une école d´Arcy ?

Ainsi, si le bestiaire est assez semblable à celui de la grotte Chauvet, Arcy possède, selon Dominique Baffier, une autre particularité : « On peut dire qu´il y a un style Arcy qu´on ne retrouve pas ailleurs. La ligne de front des mammouths se poursuit par la défense, alors qu´ailleurs la défense part de la joue. On a l´impression qu´ils ont été peints par la même personne, ou plutôt par plusieurs qui partageaient les mêmes conceptions stylistiques ». Un peu plus loin, sous les lumières de la torche, la préhistorienne détaille un autre point de la technique de ces peintres qui se servaient des reliefs naturels des parois pour figurer une croupe ou un dos d´animal et les intégrer à leurs peintures. Autre particularité locale : « Ils avaient un respect du tracé antérieur que je ne connais pas en d´autres grottes ». Les figures cohabitent mais ne se superposent pas.

En septembre, une nouvelle campagne de fouilles s´attachera à dégager d´autres représentations partiellement visibles avec une lampe à infra-rouges. De nouveaux prélèvements seront réalisés au sol, sous la couche calcaire. L´une des dernières campagnes avant de laisser aux générations futures le soin de poursuivre les recherches, avec d´autres techniques.

"Il serait bon, nous a-t-il précisé, que notre service soit doté de queqlues appareils respiratoires à circuit fermé."

Christian Picardeau.

La deuxième grotte ornée derrière Chauvet

Dans la Grande grotte d´Arcy, l´animal le plus représenté est le mammouth (plus de 50 % des peintures). Mais on trouve aussi des ours, un poisson, un oiseau peint en rouge (pièce unique dans l´art paléolithique), une tête de félin et aussi un mammouth noir. Des représentations, souvent réalisées avec une dizaine de traits, qui selon les datations remontent entre 26 000 et 28 000 ans. Une date confirmée par l´analyse de plusieurs prélèvements (lire par ailleurs) qui fait d´Arcy la deuxième plus ancienne grotte ornée du monde derrière Chauvet dans l´Ardèche (peinte entre 30 000 et 32 000 ans) et devant Cosquer, en Méditerranée, où les peintures dateraient de 26 00 à 27 000 ans.

Article mis en ligne le : 17 avril 2008