Revue de Presse

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Henri PICHARD

L'Yonne Republicaine, édition du lundi 23 août 1982.

«300 pieds sous la terre»

Joigny. — La voix est lente, chevrotante. Les mains torturent un crayon. De longs silences entrecoupent chaque phrase. Henri Pichard évoque sa passion avec nostalgie.

Cela fait maintenant près de trente ans ! Trente ans qu'il n'est pas descendu au fond d'un gouffre. Trente ans qu'il n'a pas glissé le long d'une échelle de corde entre deux parois suintantes !

L'univers souterrain était alors son domaine. Sa vie. Son fidèle appareil photographique en bandoulière, il parcourait des kilomètres de galeries, traquant les reflets scintillants d'une concrétion, fixant sur le film les exploits de ses compagnons.

Aujourd'hui, il ne reste que des centaines de négatifs conservés jalousement dans une boite en carton. Et dans un recoin de sa mémoire, des tonnes de souvenirs.

L'aventure s'est terminée le jour où une grave maladie handicapa physiquement Henri Pichard.

Pieds nus

Tout commence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les spéléologues apparaissent à l'époque comme des aventuriers casse-cou à l'image du plus célèbre d'entre eux : Norbert Casteret.

Henri Pichard fait la connaissance de Gérard Méraville, un des pionniers de la spéléo dans le département de l'Yonne. Ce dernier emmène le jeune Henri, il a alors 21 ans, au puits Bouillant, à Saint-Aubin-Château-Neuf.

Pour le garçon, celte première descente est la révélation d'un univers féerique. Dès lors, il s'inscrit au G.S.P.P. (Groupe spéléologique et préhistorique Parat), fondé par Méraville.

Si la région ne manque pas de «trous» à explorer, le matériel, par contre, fait défaut. Cinq longues années de guerre ont saigné l'économie française à blanc. Les spéléologues doivent faire preuve de débrouillardise afin de confectionner leurs équipements.

Les casques de guerre et les combinaisons américaines serviront de protections. Avec des cordons de parachute, Henri Pichard et ses compagnons tresseront des échelles de corde. L'éclairage sera assuré par des lampes portatives au carbure.

Le photographe des ténèbres se souvient : «La première descente dans le puits Bouillant s'est effectuée pieds nus. Pour ne pas abîmer nos chaussures. A l'époque, c'était une denrée rare !»

La troupe hétéroclite visite ainsi des kilomètres de souterrain, dans le froid et la boue, avec parfois de l'eau jusqu'au cou.

«L'eau était généralement à 11 degrés, Dès qu'on sortait, on était frigorifié du fait de l'évaporation des vêtements. Le seul recours était alors de replonger dans la rivière.»

Les honneurs du petit écran

Inlassablement, Henri Pichard photographie ses amis et leurs découvertes. Le flash électronique n'est pas encore né et le photographe ne dispose d'aucun instrument pour mesurer l'intensité lumineuse. Peu importe, différents essais servent d'étalon. Le magnésium illumine les voûtes des grandes salles souterraines.

Arcy-sur-Cure où une grotte porte son nom, associé à celui de Méraville, Villepot, le Vercors, le Doubs : Henri Pichard promène son attirail sur tous les lieux propices aux explorations. L'exploit ne l'intéresse pas. Seule compte pour lui la possibilité de prendre des photos et des films.

En 1951, 1952 et 1953, avec l'aide de ses amis Méraville, Valentin, Garby, Jeallet, il tourne un film noir et blanc qui passera partiellement sur le petit écran.

Pour réaliser son montage, Henri Pichard bricole des batteries de voiture et une commutatrice d'avion qui lui fourniront l'éclairage indispensable. L'équipe doit transporter 80 kilos de matériel à travers le dédale des réseaux souterrains.

Cette réalisation constituera le plus bel hommage rendu aux pionniers de la spéléologie.

Aujourd'hui, Henri Pichard a perdu de vue ses camarades d'exploration. Il ne reste que des souvenirs sous forme de papier glacé et des ombres qui semblent planer dans son petit appartement.

Les escapades lui sont maintenant interdites. Alors, il continue de rêver en montrant les agrandissements photographiques de ce que fut une partie de sa vie.

Mercredi 25 août, à 21 heures, il projettera un de ses films : « Spéléos : les hommes du dimanche à la Maison de la nature du Moulin-de-Préblin, à Migennes.

V. R

Article mis en ligne le : 31 mars 2012