Revue de Presse

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La forêt privée veille au grain

L'Yonne Republicaine, édition du mardi 09 juin 2009.

Menacée, la biodiversité est affaire de tous. Leçon à destination des propriétaires forestiers privés.

SUR les bords de Cure, en contrebas des grottes d'Arcy, ils sont une cinquantaine. Tous propriétaires, ils sont rassemblés là à l'instigation du Centre régional de la propriété forestière de Bourgogne (CRFP) au cœur d'un « laboratoire de gestion forestière », dédiée à la conservation des habitats et des espèces d'intérêt communautaire. Bienvenue dans le site 19 Natura 2000 de Bourgogne, répertorié sous le vocable « Pelouses et forêts calcicoles des coteaux de la Cure et del'Yonne en amont de Vincelles ». Outil de protection de la biodiversité à l'échelle européenne, Natura 2000 compte 66 sites en Bourgogne dont quinze dans l'Yonne. « 3 % du département est situé en Natura 2000, la moitié en milieux forestiers », insiste-t-on du côté du CRPF.

Ici, le propriétaire des lieux François de la Varende n'a pas raté l'opportunité. Sur ses terres (160 ha de futaie), et particulièrement dans l'une de ses grottes, les chauves-souris ont choisi d'hiberner (lire par ailleurs). « Chaque année, 45 000 personnes viennent visiter les grottes d'Arcy. Avant ou après la visite, beaucoup empruntent le chemin bordant la rivière. Les grottes rupestres, la nature, il n'y avait pas de pendant animalier. Avec la présence des chauves-souris, c'est chose faite. Une grille avait été posée au fond de la grotte pour éviter les accidents, les graffitis, mais il a fallu adapter l'accès aux chauves-souris. Tout cela en concertation avec le Conservatoire des sites naturels bourguignons et la Société d'histoire naturelle d'Autun. »

66 sites en Bourgogne

Comme pour 54 des 66 sites bourguignons Natura 2000 (ce devrait le cas pour l'ensemble d'ici fin 2010), le n° 19 est doté d'un document d'objectifs (DOCOB). Document de référence, d'orientation et d'aide à la décision établi par un comité de pilotage et arrêté par le préfet, il a pour but de préserver ou restaurer les espèces et les habitats naturels qui ont justifié la désignation du site au titre du réseau européen. Avec 20 ha estampillés Natura 2000, François de la Varende a adhéré aux objectifs de gestion décrits dans le DOCOB. Ce qui lui a permis d'obtenir un financement pour l'installation de protections pour les chauves-souris.

Mais les aides peuvent concerner l'entretien et la réhabilitation de mares, de berges, de ruisseaux, de dunes, de clairières ; la création d'îlots d'arbres sénescents (vieillissants) ; le maintien et la généralisation de bonnes pratiques tels que l'entretien des haies, le fauchage tardif, le débroussaillement manuel ; la lutte contre les espèces invasives végétales ou animales ; l'installation de protections pour les oiseaux ; la sensibilisation du grand public sur les sites. « Au-delà de l'aspect financier et du fait que la signature d'un contrat peut exonérer de l'impôt foncier », note Juliette Charon, ingénieur à la DDEA (Direction départementale de l'Equipement et de l'Agriculture), « le propriétaire privé est entouré d'intervenants susceptibles de lui venir en aide. Ainsi, l'animateur de la zone Natura 2000 peut le conseiller dans le montage de son dossier administratif et financier ». Car, dans son engagement en faveur de la biodiversité, le propriétaire privé forestier n'est pas seul. C'est le message qu'ont voulu transmettre responsables et techniciens du CRPF. Un message comme un écho à l'écocertification qui se doit de garantir au consommateur que le bois qu'il achète est issu de forêts gérées durablement.

Grotte des fées, HLM à chauves-souris

Depuis plusieurs semaines, les chauves-souris ont déserté le site. Mais la grille d'un coût de 6000 euros (financée dans le cadre de Natura 2000) témoigne de leur présence hivernale. Au fond de la grotte des fées, 300 petits mammifères ailés - protégés par la loi depuis 1981 - ont choisi d'hiberner. Mais très fréquentée des marcheurs, la zone exigeait qu'on en préserve la quiétude. D'autant que viennent « nicher » là onze des 23 espèces de chauves-souris répertoriées en Bourgogne. Membre de la société d'histoire naturelle d'Autun, Alexandre Cartier est l'un de ceux qui assurent le suivi du site.

Insectivores efficaces

« Dans cette cavité prisée de longue date des chauves-souris, on a recensé plusieurs espèces, des grands rhinolophes (10 % de la population bourguignonne) et trois rhinolophes euryales (un seul autre site identifié dans la région). Les enjeux de préservation étaient donc très forts. ll faut savoir qu'un réveil hivernal intempestif peut faire consommer à la chauve-souris en une seule fois l'équivalent de 30 jours d'hibernation. C'est dire si on doit les laisser tranquilles ! Afin d'améliorer l'accès à la grotte, il a fallu retirer le treillis à maille carrée et poser des barreaux horizontaux. La grotte, qui avait servi au tournage d'un film, a été en outre nettoyée. Prochainement, des panneaux de sensibilisation à la flore et à la faune seront installés et les enjeux d'un site Natura 2000 précisés. Car il est important d'expliquer au grand public que la préservation de l'habitat autour de la grotte est primordiale. Les chauves-souris choisissent des arbres-gîtes (avec des trous, des fissures) pour se reproduire. Le soir venu, elle remplace l'hirondelle. Une seule peut ingurgiter 300 moustiques par nuit et jusqu'à 50 000 insectes par an ! »

Une terre à scolopendres

De l'autre côté de la Cure, sur le territoire de Saint-Moré, Natura 2000 (il s'agit toujours du fameux site 19) concerne une forêt communale dont certaines parcelles ne présentent pas grand intérêt économique. Pour autant, qu'en faire ? En tant que gestionnaire, l'ONF a proposé à la commune de travailler en faveur de la biodiversité. « Sur cette parcelle à très forte pente, l'exploitation des bois est limitée », indique Christophe Mouy, technicien de l'Office national des forêts. « Mais si d'un point de vue économique, l'intérêt est faible, d'un point de vue écologique et même touristique, en raison de la présence du sentier qui longe la rivière, il est important de préserver une telle parcelle. Ici, on n'a pas une forêt classique, avec un tilleul, des scolopendres, des ormes lisses et des fougères qui poussent sur les branches et les troncs penchés. La proposition de l'ONF est de laisser cette parcelle en l'état. » A une centaine de mètres de là, un autre secteur de la forêt communale, plutôt clairsemé, a fait l'objet d'une autre proposition. « Ici, l'ONF préconise le développement de bois sénescents. A la clé, une aide de 150 euros par arbre d'un diamètre supérieur ou égal à 40 cm. » Les vieux arbres ont en effet la particularité de juxtaposer des parties, vivantes et mortes, ainsi que différents stades de dépérissement. Grâce à cela, ils multiplient les possibilités de micro-habitats (champignons, insectes), tout en offrant une relative stabilité dans le temps et l'espace, pour les espèces qui leur sont associées. Et le technicien d'en profiter pour souligner que « le bois mort est un constituant fondamental du milieu forestier. En pourrissant, il offre un habitat précieux pour certaines espèces ».

Véronique SELLES

Article mis en ligne le : 10 juin 2009