Extraits

Il s´agit de la première des nombreuses descriptions dont la grande grotte d'Arcy a été l'objet. Datée de 1666, elle n'a été imprimée qu'en 1749 dans les Mémoires de Littérature et d'Histoire du R.P. Desmolets (t. 2, 1''e partie). C'est Colbert qui chargea Jacques de Clugny (1635-1684), lieutenant civil d'Avallon, de faire une description exacte de la grande grotte, déjà célèbre en son temps. Clugny fut accompagné par deux marbriers.
On remarquera que le vandalisme souterrain, hélas, ne date pas d'aujourd'hui et on notera une tentative d'explication des stalactites et stalagmites alors appelées congélations.

DESCRIPTION DES GROTTES D'ARCY, AU COMTÉ D'AUXERRE, PRES DE NAILLY-LA-VILLE

Par Jacques de CLUGNY,

lieutenant civil au baillage d'Avalon, et, depuis, lieutenant-général en celui de Dijon, faite par ordre de M. COLBERT, controleur-général des finances



Sur les bords de la rivière de Chure, ou la Cure, auprès d'un village assés considérablement appellé Arcy, on voit des rochers escarpés, d'une hauteur extraordinaire, au bas desquels paraissent comme des cavernes, qui n'en ont, néantmoins, que l'apparence, parce qu'elles ne pénètrent pas fort avant.

L'on voit en un endroit, au pied de l'un de ces rochers, une partie des eaux de cette rivière qui se perdent, et après avoir coulé sous terre plus de deux lieuës, elles trouvent une issue dont elles sortent avec impétuosité, et, à leur source, font moudre un moulin.

Un peu plus avant, en descendant le long du cours de la rivière, il y a quelques bois sur le bord, qui forment un ombrage assés agréable, et tout le long des rochers on trouve des échos, dont quelquesuns répètent un vers tout entier.

Assés proche du village est un gué appellé ordinairement le gué des Entonnoirs, au sortir duquel, du costé du couchant, on rencontre un petit sentier fort étroit, qui, montant le long d'un costeau tout couvert de bois, conduit à l'entrée des grottes. En montant ce sentier on trouve en plusieurs endroits, dans les rochers, de grandes concavités fort commodes pour se mettre à couvert de toutes les injures du tems. Ce sentier conduit à une grande voûte large de trente pas et haute de vingt pieds et dont l'entrée semble faire le portail de ce lieu, et, s'étressissant à huit ou dix pas de là, elle se termine par une petite porte haute de quatre pieds. La figure de cette porte était autrefois ovale. Mais, depuis quelques années, on y a fait poser une porte de pierre de taille, afin de fermer l'entrée de ces grottes, dont le seigneur du lieu garde la clef.

L'entrée de cette porte est si basse, qu'on ne peut y passer que courbé, et le dessus de la première salle est une voûte d'une figure platte et toute unie. La descente est fort scabreuse, et on y rencontre d'abord des quartiers de pierre d'une grosseur prodigieuse.

On trouve ensuite une autre salle beaucoup plus spacieuse, dont la voûte est élevée de 9 à 10 pieds. Dans un endroit de la voûte on voit une ouverture large d'un pied et demi, longue de neuf pieds, et qui paraît avoir deux pieds de profondeur, dans laquelle on voit une quantité de figures pyramidales. Cette salle est admirable par sa grandeur, ayant quatre-vingt pieds de long, mais remplie de quantités de gros quartiers de pierre, entassés confusément en quelques endroits et épanchés en d'autres, qui la rendent incommode pour marcher. A main droite, il y a une espèce de lac qui peut avoir 100 ou 120 pieds de diamètre, dont les eaux sont fort claires et fort agréables à boire

A main gauche de cette salle, on entre dans une troisième, large de 15 pas et longue de 250. La voûte est d'une figure un peu plus ronde que les précédentes, et peut avoir 18 pieds d'élévation. Ce qui paraît le plus extraordinaire c'est qu'il y a trois voûtes l'une sur l'autre, la plus haute estant supportée par les deux plus basses. Environ le milieu de cette salle, on voit à main droite quantité de petites pyramides renversées, de la grosseur du doigt, qui soutiennent la voûte la plus basse, et qui paraissent avoir été rapportées de dessein pour orner cet endroit. Cette salle se termine en étressissant et sur les extrémités, d'un costé et d'autre on voit un nombre infini de petites pyramides qu'on croirait estre de marbre blanc. Le dessus de cette voûte est tout rempli de mamelles de différentes grosseurs, mais qui, toutes, distillent quelques gouttes d'eau par le haut. A main droite, il y a une espèce de petite grotte qui peut avoir 2 pieds en quarré, et qui est enfoncée de 3 ou 4 pieds, remplie d'un si grand nombre de petites pyramides, qu'il est impossible de les compter.

Au bout de cette salle, à main droite, on trouve une petite voûte de 2 pieds et demi de haut et de 12 pieds de longueur, dont l'un des costés est soutenu par un rocher. Elle est garnie d'un si grand nombre de pyramides, de mamelles et d'autres figures, que cela ne peut se décrire. On y voit même des coquilles de différentes figures et différentes grandeurs.

Cette petite voûte conduit à une autre un peu plus élevée et remplie d'un nombre infini de figures de toutes manières. A main gauche, on voit des termes de perspectives soutenus par des pilliers de différentes grosseurs et de différentes figures, parmi lesquels il y a une infinité de petites perspectives, des pilliers, des pyramides, et d'autres figures qu'il est impossible de décrire.

Un peu plus avant, du même costé, on découvre une petite grotte dans laquelle on peut entrer ; elle est fort enfoncée et admirable par la quantité prodigieuse de petits pilliers, de pyramides droites et renversées dont elle est pleine. C'est dans cet endroit où ceux qui visitent ces lieux ont accoutumé de rompre quelques unes de ces petites figures pour les emporter et satisfaire à leur curiosité. Mais il semble qu la nature prenne soin de réparer tous les dommages que l'on y fait.

A main droite, il y a une entrée qui conduit dans une autre grande salle, qui est séparée de la précédente par quelques pilliers qui ne montent pas jusqu'au-dessus de la voûte. L'entrée de cette salle est fort basse, parce que du haut de la voûte naissent quantité de pyramides, dont la base est attachée au sommet de la voûte. Cette salle est remplie de quantité de rochers de même qualité que les pyramides. On y voit des enfonçures et des rehaussements, et on voit autant de perspectives différentes qu'il y a d'endroits où l'on peut jetter la vue.

Un grand rocher termine cette salle et laisse à droite et à gauche deux entrées qui, toutes deux, conduisent dans une autre salle fort spacieuse. A gauche en entrant on voit d'abord une figure, grande comme nature, qui, de loin, paraît estre une Vierge, tenant entre ses bras un petit Jésus. Du même costé, on voit une forteresse quarrée, composée de quatre tours, et une autre plus avancée pour deffendre la porte. Quantité de petites figures paraissent dedans et autour qui semblent estre des soldats qui def fendent cette place. Cette salle est partagée par le milieu par quantité de petits rochers, dont quelques-uns s'élèvent jusques au-dessus de la voûte, d'autres ne vont qu'à moitié. Le costé gauche de cette salle est borné par un grand rocher, et un écho admirable et beaucoup plus fidelle que dans toutes les autres.

On trouve deux entrées au sortir de cette salle qui conduisent en descendant dans une autre fort longue et fort spacieuse, où le nombre des pyramides est moindre, et où la nature fait beaucoup moins d'ouvrages. Mais ce qu'on y rencontre est beaucoup plus grand. En entrant à main gauche on y rencontre un grand dôme, qui n'est soutenu que d'un seul costé. La concavité de ce dôme paraît être à fonds d'or, avec de grandes fleurs noires. Mais lorsqu'on y touche, on efface la beauté de cet ouvrage qui n'est pas solide comme les autres et n'est qu'un effet de l'humidité. La voûte de cette salle est unie. Elle a 20 pieds d'hauteur, 30 pas de largeur, et plus de 300 pas de longueur. Au milieu de la voûte, on voit un nombre infini de chauves-souris, dont quelques-unes se détachent pour venir voltiger autour des flambeaux. Sous l'endroit où elles sont est une petite hauteur où, lorsqu'on frappe du pied, on entend raisonner comme s'il y avait une voûte dessous, et l'on croit que c'est sous cet endroit que passe une partie de la rivière de Chure, qui se perd au pied d'un rocher dont on a ci-devant parlé.

Cette salle, sur ses deux extrémités, a deux pilliers joints ensemble, de 2 pieds de diamètre, et à plusieurs pyramides qui s'élèvent presque jusqu'au-dessus ; et elle se termine enfin par trois rochers pointus, du milieu desquels sort un pilastre qui s'élève jusqu'à la voûte.

Ce passage conduit à une autre salle, dont la voûte toute unie peut avoir 15 pieds d'élévation. Cette salle a 40 pieds de large et près de 400 pas de long ; et, au bout, elle a quatre rochers et une pyramide haute de 8 pieds, dont la base a 5 pieds de diamètre.

On passe de celle-là dans une autre, admirable pour les rochers et les pyramides qu'on y voit. Mais surtout il y en a une de 20 pieds de haut et de 1 pied et demi de diamètre. La voûte de cette salle a, d'élévation, 22 pieds dans les endroits les plus élevés, 40 pas de large et plus de 600 pas de long. Elle est ornée des deux costés de quantité de figures, de rochers, de perspectives ; et si, dans le commencement, on trouve le chemin incommode à cause des gros quartiers de pierres qu'on y rencontre, la fin est très-agréable, et il semble que les figures qu'on y voit soient les compartiments d'un parterre. Cette dernière salle se termine en étressissant et finit la beauté de ces lieux.

On remarque que, dans toutes ces figures, il y a comme un petit tuyau dans le milieu de la grosseur d'une éguille, par où il dégoute continuellement de l'eau qui, venant à se congeler, produit toutes les beautés qu'on admire dans ces lieux, et ceux qui vont souvent visiter ces grottes reconnaissent que la nature répare tous les désordres qu'on y commet, et remplace toutes les pièces qu'on y détache.

Toutes ces beautés qui sont dans ces grottes, et toutes les pyramides et les rochers dont on a parlé, ne sont que des congélations qui, néantmoins, ont la beauté du marbre et la dureté de la pierre, et, quoiqu'on les expose à l'air et à toutes les injures du teins, elles se conservent toujours dans leurs beautés.

On y remarque encore une chose assés particulière qui est que l'air y est extrêmement tempéré, et, contre l'ordinaire de tous les lieux souterrains, dans les plus grandes chaleurs de l'été on y respire un air aussi doux qu'on pourrait faire dans une chambre, encore qu'il n'y ait aucunes ouvertures que la porte par laquelle on entre, et qu'on n'y puisse aller qu'à la faveur des flambeaux.

Jacques de CLUGNY
1666.