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DESTIN - EN RAISON DE SES IDÉES JANSÉNISTES, LA CARRIÈRE DE L'INVENTEUR DE LA VOIE ROMAINE À AUXERRE EST INTERROMPUE

Yonne Magazine, édition du samedi 15 décembre 2012.

L'oeuvre inachevée d'un précurseur, François Pasumot

Réunis chez leur directeur, l'énergique chanoine Moreau, les membres de la Société des Sciences et Belles lettres d'Auxerre s'apprêtent, en ce 5 juin 1766, à entendre l'un des leurs prononcer l'éloge funèbre du comte de Caylus, associé honoraire de leur compagnie. Certes, la personnalité du défunt, archéologue de renom, membre de l'Académie parisienne des inscriptions et, qui plus est, neveu de leur premier protecteur, l'évêque Caylus, bénéficie d'un grand prestige, mais c'est surtout l'orateur qui suscite curiosité et intérêt François Pasumot, membre associé depuis 1761, vient d'accéder à la qualité de résident puisqu'il a choisi de s'installer à Auxerre et d'y enseigner la physique et les maths au collège de la ville. Un tournant dans sa carrière et le choix de privilégier certaines activités pour ce jeune savant (il n'a que 33 ans) aux savoirs et aux intérêts multiples.

Il découvre la voie romaine

Fils de commerçants beaunois, monté à Paris en 1750, contraint de faire précepteur chez les riches, il est bientôt remarqué par le géographe Cassini. Breveté ingénieur-géographe du roi en 1756, il se voit confier le soin de collaborer à la grande carte de France, alors en cours d'élaboration, puis une mission en Auvergne pour y étudier les volcans éteints. À cette époque, la géographie est essentiellement affaire de relevés topographiques ; Pasumot est de ceux qui considèrent qu'elle peut apporter aux études historiques, alors dominées par les Lettres, des perspectives et des compléments fructueux. Ainsi, à la faveur de ses déplacements, il s'intéresse aux « antiquités », vestiges et monuments des époques romaines ou « gauloises » et a publié dans des revues des mémoires sur un cippe funéraire observé près de Dieppe, sur les antiquités de Corsaint ou l'emplacement de la bataille de Gergovie...

Peu à peu, cette activité de fouilleur l'emporte sur ses travaux de géographe dont il se détache et une région retient particulièrement son intérêt, les pays du futur département de l'Yonne, foisonnant de sites et d'appellations mal connus et qui suscitent de nombreuses controverses.

L'altitude d'Auxerre

Encouragé par Caylus, il identifie d'abord le camp celte des Alleux près d'Avallon, puis met au jour, entre Avallon et Auxerre, un tronçon de voie romaine, la fameuse via Agrippa (1). Homme de terrain, il écrit : « je n'ai pas de peine à suivre la chaussée romaine, elle est visible et très reconnaissable presque partout » ; ses prédécesseurs, hommes de cabinet, étaient peu familiers avec la topographie. De même, sa connaissance du tracé de la via Agrippa le conduit à fixer définitivement l'emplacement du camp de Cora sur le plateau de Villauxerre, à 1 km au sud-ouest de Saint-Moré, alors que l'abbé Lebœuf le plaçait à Cravant et d'Anville à Arcy-sur-Cure. Il identifie le Bandritum des géographes latins avec le gué de Bassou, alors que jusqu'alors on disputait entre Joigny, Saint-Florentin et les Baudières.

Rassemblés en un volume en 1765, ces différents mémoires sont offerts par leur auteur à ses confrères de la Société auxerroise, une académie provinciale qui se distingue par le dynamisme et l'esprit novateur de bon nombre de ses participants : Berryat, féru de thermalisme, Mérat, naturaliste associé à Linné, l'auteur de la classification, lors de son séjour en France, Robinet de Pontagny, précurseur en météorologie. Dans ce climat, Pasumot se montre actif en de nombreux domaines. Le 10 janvier 1769, il explique la méthode qui lui permet de calculer l'altitude d'Auxerre par rapport au niveau de la mer grâce au baromètre de Torricelli, introduisant une notion topographique jusqu'alors ignorée (2). En 1770, sur le pont de la Tournelle, il repère dans le sol pierreux de la rivière ce qu'il considère comme un madrépore mais qu'il adresse, par acquit de conscience à Buffon, lequel identifie une grosse molaire de mammouth (3). Sa collaboration avec le savant montbardois se manifeste à plusieurs reprises, notamment par un mémoire sur « le sommeil paradoxal du chat » que le naturaliste apprécie au point de l'insérer dans son Histoire naturelle. Dès 1762, il fait de nombreux voyages aux grottes d'Arcy préparant une étude qu'il destine à la société auxerroise et à l'académie de Dijon où il a été admis en 1769.

En 1773, il regagne Paris pour des tâches ingrates

Mais Auxerre est alors la proie de querelles politico religieuses. Fondée à l'instigation de Mgr de Caylus, farouche opposant aux jésuites et aux ultramontains, la Société compte une majorité de membres favorables aux idées jansénistes et gallicanes du prélat décédé ; Pasumot est de ceux-là (4). Le nouvel évêque, Cicé, partisan secret des Jésuites (5), dissimulé et autoritaire, va mener une guerre de plus en plus ouverte contre la compagnie savante qu'il réussit à interdire de réunion par arrêté royal en 1772. Pour les mêmes raisons et après des années de procédure, il parvient à expulser les professeurs du collège remplacés par des bénédictins (1773). Pasumot quitte Auxerre, nanti d'une maigre pension de 300 livres. À Paris, il retrouve les tâches ingrates du préceptorat comme dans sa jeunesse. Il obtient finalement un emploi au dépôt des cartes et plans de la Marine. Il a renoncé à ses travaux d'archéologue, quelques lettres adressées à des Icaunais trahissent sa nostalgie des recherches interrompues (6).

Le premier à donner une description scientifique de la Grande Grotte et de la grotte des Fées à Arcy

Maintenu à Auxerre, nul doute que Pasumot n'eût approfondi et étendu ses découvertes. Son travail sur la via Agrippa est un modèle de rigueur scientifique où ses successeurs n'auront à ajouter que des détails. Le premier il a vu dans le camp de Cora un système défensif d'origine néolithique et fait table rase de la légende du « château de Mahaut », identifiant un castrum qui a conservé jusqu'à nos jours ses murs de défense. Au début du XX siècle, l'abbé Parat dégagera ces murailles et datera les différentes étapes de leur construction. À Flogny, il a clairement vu que « le camp de César » n'avait rien de romain mais appartenait à la poliorcétique médiévale même s'il s'est trompé de neuf siècles (7). Surtout, il est le premier à donner une description scientifique de la Grande Grotte et de la grotte des Fées à Arcy. Ses nombreux prédécesseurs insistaient sur les beautés et les étrangetés de la nature. De son temps, on considérait que la grotte avait été faite en retirant de la pierre pour construire notamment la cathédrale d'Auxerre ! Buffon lui-même voyait dans les « concrétions », des productions d'albâtre. Pasumot envisage les grottes dans leur contexte géographique ; il étudie les deux versants du méandre d'Arcy, note la position des pertes et résurgences de la Cure, lève la topographie complète de la Grande Grotte, remarque des couches granitiques originaires du Morvan et que seule la Cure a pu déposer en sédiments, il signale sur les parois des traces d'érosion par l'eau ; bref, il attribue à la rivière le rôle capital qui est le sien dans la formation et la morphologie de la grotte. Mais son exil, l'hostilité de l'évêque si puissant, retardent la publication de ce mémoire qui ne voit le jour à Dijon qu'en 1784. Ce que déplorent les spécialistes contemporains : « le délai de vingt années apporté à la parution de son étude de la caverne, va arrêter l'élan novateur des recherches sur les grottes » (8)

Jean-Pierre Fontaine

(1) La via Agrippa relie Lyon, centre des Gaules à Boulogne-sur-mer, emporium vers la (Grande) Bretagne.

(2) Il indique 124 m au niveau de la cathédrale (erreur de 4 m) SSY 1910

(3) E Poplin SSY 1988

(4) Voir manuscrit de Pasumot B.M. de Dijon ms 979

(5) En 1762, les Jésuites ont été expulsés du royaume et de tous les collèges où ils enseignaient dont celui d'Auxerre

(6) Lettre au Père Laire (21 frimaire an IX) pour récupérer les archives de la Société des Sciences ; au publiciste Tarbé sur l'identification d'Eburobriga (Avrolles) et Bandritum. (Almanach de Sens 1784)

(7) Il s'agit en fait de l'emplacement d'une « ville franche » éphémère, bâtie par le comte Thibault IV vers 1225. Pasumot y voyait un château contemporain de celui de Tonnerre (Ir s.) (Almanach de Sens 1810).

(8) J.C. Liger Les grottes d'Arcy au XVIII S.XVIIIe2002

Source biographique : Introduction à des textes de Pasumot réédités par Grivaud de la Vincelle (1810-1813) B.M. Auxerre : C.B. 140.

Article mis en ligne le : 06 janvier 2013